Claude Bouchot : Pour quelles raisons avez-vous choisi le métier de journaliste-photographe ?
Roger Bellone : Etudiant, je rêvais de devenir chef opérateur de cinéma (j'avais participé, comme figurant, au tournage de plusieurs films aux Studios de la Victorine, à Nice). Mais mes parents n'avaient pas les moyens financiers de me payer trois années d'études en externat à Paris, notamment à l'IDHEC. Je me suis donc tourné vers la photo en proposant des articles à Photo Ciné Revue.
C. B. : Pouvez-vous rappeler sommairement ce qu'était la photographie en France durant les années 60 lorsque vous avez commencé à travailler ?
Roger Bellone : La photographie quittait le stade des précurseurs et des premières industrialisations pour s'ouvrir au grand public. C'était l'époque de l'essor du format 24 x 36 et des optiques interchangeables (le zoom arriva plus tard), de la couleur inversible (le négatif couleur était encore médiocre et instable) et de la projection de diapositives, enfin, pour les tirages sur papier, des beaux agrandissements noir et blanc.
C. B. : Aux éditions de Francia que vous avez dirigées de 1975 à 1983, vous étiez aussi directeur de publication du plus vieux périodique photographique français. Pouvez-vous nous parler de cette légendaire Photo Ciné Revue et comment expliquez-vous sa disparition ?
Roger Bellone : Elle avait été créée en 1888 à l'intention des amateurs et était surtout consacrée aux questions techniques. A l'époque, en effet, il n'y avait pas de matériel automatique, pas plus pour la prise de vue que pour le traitement des films et l'agrandissement des épreuves. La photographie demandait, certes, des aptitudes artistiques, mais aussi des connaissances techniques sans lesquelles il n'était pas possible de réaliser une bonne image. Lorsque la technique a commencé à avoir moins d'importance pour les amateurs avec l'apport d'équipements automatiques de plus en plus fiables et la naissance de laboratoires de traitement, notamment en couleurs, l'avenir des magazines photographiques a changé : ils se sont tournés de plus en plus vers la création artistique, le reportage et l'histoire. Le nombre des revues s'est multiplié et la publicité y a pris une importance croissante. Le propriétaire belge des éditions de Francia a cédé son entreprise aux publications Filipacchi. Celles-ci, qui publiaient déjà le magazine PHOTO, ont progressivement abandonné Photo Ciné Revue, trop technique.
C. B. : A côté de ce travail d'éditeur, vous rédigiez des livres techniques tout en dirigeant la rubrique photographique de Science et Vie. Comment parveniez-vous à planifier votre temps ?
Roger Bellone : J'avais acquis une bonne pratique du journalisme et de la rédaction. Je pouvais donc travailler assez vite. Et, bien sûr, j'avais de bons collaborateurs, ce qui est essentiel.
C. B. : Depuis 40 ans, la science, le matériel et les techniques photographiques ne cessent d'évoluer. N'est-il pas quelque peu décourageant pour un écrivain prolifique comme vous de savoir que ses livres risquent d'être en partie vite dépassés ?
Roger Bellone : Non, les livres surtout techniques ou historiques ne sont jamais définitifs. C'est d'ailleurs ainsi qu'une réédition suppose une mise à jour, voire une réécriture complète.
C. B. : La Société Française de Photographie dont vous avez été administrateur vient de fêter en 2004 ses 150 ans. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur cette prestigieuse association ?
Roger Bellone : J'en fais toujours partie. Précisément, elle a été confrontée aux mêmes problèmes que la presse photo. Essentiellement technique à l'origine (les inventeurs et les chercheurs venaient y présenter leurs innovations), elle a finalement abandonné cette orientation. De nos jours, en effet, la technique et la technologie sont l'apanage de quelques grands industriels (essentiellement américains et japonais) qui ne viennent plus à la SFP. Les détails de leurs procédés sont trop complexes pour intéresser des non spécialistes. La SFP s'est donc essentiellement orientée vers l'étude de l'histoire de la photographie, domaine où elle apporte une importante contribution.
C. B. : Durant les décennies 60 et 70, la plupart des Maisons des Jeunes et de la Culture mettaient à la disposition des jeunes (et moins jeunes) un laboratoire photo dans lequel ils venaient volontiers réaliser leurs tirages noir et blanc en rêvant de devenir un jour de grands photographes ! Portez-vous un regard nostalgique sur cette époque marquant la « fin de l'ère argentique » ?
Roger Bellone : Non, car les choses sont différentes. L'ère du numérique a commencé et les jeunes passionnés travaillent leurs images sur ordinateur. C'est leur nouveau laboratoire. Moi-même, je possède quelques 200 000 photos (diapositives en couleurs et négatifs 24 x 36 ou 6 x 6) ; ces archives sont inexploitables de façon traditionnelle en raison du coût des beaux tirages... et du temps nécessaire à leur examen. Il devient même impossible de faire tirer certaines images dont les procédés ont disparu (sauf à passer par des laboratoires très spécialisés hautement onéreux). Un scanner et un ordinateur me permettent aujourd'hui de visionner directement en positif de vieux négatifs et éventuellement de les tirer sur papier photographique numérique.
C. B. : Au cours de votre carrière, vous avez assisté et contribué à de nombreuses avancées de la science photographique. Quelles sont les innovations techniques qui vous ont paru les plus importantes ?
Roger Bellone : L'arrivée de la couleur (de plus en plus résistante au vieillissement), l'arrivée de la visée reflex, celle des appareils automatiques (l'automatisme devant toutefois être contrôlé par le photographe pour obtenir l'image souhaitée), le numérique (qui permet de traiter l’image, de corriger ses défauts techniques, ses couleurs)...
C. B. : Hormis vos multiples publications écrites, avez-vous fait de l'enseignement ?
Roger Bellone : Oui, notamment avec un cours de cinéma à la Société Française de Photographie.
C. B. : Quels sont les moments de votre carrière dont vous conservez les meilleurs souvenirs ?
Roger Bellone : Probablement le temps de Photo Ciné Revue et de Science et Vie.
C. B. : En 1997, vous écriviez dans les dernières lignes de votre livre La photographie (PUF, p. 124) : « Il est encore trop tôt pour prédire la disparition des surfaces sensibles argentiques au profit des surfaces sensibles non argentiques ». Aujourd'hui, comment analysez-vous le succès que connaît la photographie numérique et l'engouement du marché pour cette nouvelle technologie ?
Roger Bellone : Je ne pense pas que ce soit un engouement. C'est une réalité qui s'impose à une époque où toutes les techniques ont basculé dans le numérique : la photo, mais aussi le cinéma, le son, la télévision, l'édition. C'est un peu comme l'arrivée de la photographie à l'époque où seuls le dessin et la peinture permettaient d'obtenir des images.
C. B. : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes s'orientant vers la filière photographique ?
Roger Bellone : De faire de solides études dans les domaines qu'ils envisagent d'aborder.
C. B. : Quel bilan tirez-vous finalement de votre carrière si remplie ?
Roger Bellone : Je n'ai jamais cherché à faire un bilan. J'ai pratiqué un métier que je n'avais ni choisi, ni préparé. Je voulais être cinéaste, j'ai fait des études juridiques et financières et je me suis retrouvé journaliste...
C. B. : Vous êtes parti à la retraite il y a maintenant 9 ans et on vous voit toujours aussi actif. Plus remarquable encore, vous vous consacrez à une passion : celle des orchidées ! Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à vous intéresser particulièrement à ces fleurs ?
Roger Bellone : J'avais des botanistes dans la famille et, alors que j'étais étudiant, je partais souvent avec eux pour herboriser. Puis j'ai commencé à photographier les plantes et plus particulièrement les orchidées.
C. B. : En Guyane française, vous avez photographié et répertorié un grand nombre d'espèces d'orchidées, quel était le but de cette mission scientifique à laquelle vous avez participé ?
Roger Bellone : Contribuer à l'étude de la flore de ce département d'outremer et surtout, contribuer à la sauvegarder… mission à laquelle j'ai participé effectivement, à l'époque de la mise en eau du barrage EDF de Petit Saut, près de Kourou, qui a noyé 320 km2 de forêt tropicale ! En accord avec le ministère de l'environnement, nous avons ramené plusieurs milliers d'orchidées qui ont été réparties dans un réseau de conservation constitué principalement de jardins botaniques (Muséum d'histoire Naturelle, Jardin du Luxembourg au Sénat, Jardins de Lyon, Nancy, Besançon, Nice...).
C. B. : Continuant à user abondamment de vos compétences techniques de photographe et de vos talents d'écrivain, vous ressentez toujours, inlassablement, le besoin de partager le fruit de vos dernières recherches. Pouvez-vous, rapidement, nous parler du contenu de vos deux derniers ouvrages invitant le lecteur à entrer dans le monde enchanté des orchidées ?
Roger Bellone : Le livre édité chez Belin, Orchidées, guide de l'amateur, est essentiellement destiné aux orchidophiles cultivant des orchidées. La culture des orchidées demandant des soins très particuliers, variables selon les espèces, ce sont des conseils de culture portant sur plus de 500 espèces qui sont donnés au lecteur, dans près de 550 pages illustrées de quelques 600 photos.
Le livre qui vient d'être édité par l'association Tropicalia, Les orchidées de Guyane française, que j'ai écrit en collaboration avec Guy Chiron, président de ladite association, est très différent. Il s’agit d’un inventaire complet des orchidées de ce département d'outremer (il y en a actuellement environ 340, mais d'autres pourront être découvertes dans l'avenir). Pour chaque orchidée figure une description et une photo ou un dessin botanique. Un chapitre donne des conseils de culture. Bref, c'est un travail plus scientifique que celui du précédent ouvrage. Mais il a été conçu pour être à la portée de tout lecteur curieux.
Claude Bouchot : A la veille de l’année 2005, que peut-on vous souhaiter ?
Roger Bellone : Vu mon âge, de rester dans ma forme actuelle encore quelques années... |