Plan du site Dans les années 50 Aujourd'hui Pages diverses La vie champêtreAvant-propos A l'école Au fond des bois En plein champ A la ferme Au jardin Entre rue et maison A la vigne Dans la cuisine Conclusion Dans la cuisine familiale... en guise d'hommage à notre mère ! Durant la mauvaise saison aussitôt la tombée de la nuit, l’espace de vie se réduisait habituellement à celui de la cuisine… malgré sa petite surface d'à peine 17 mètres carrés ! C’est dans cette pièce principale que, mes frères et moi rédigions le soir nos devoirs scolaires. Comme nous n’étions pas tous les jours volontaires pour aller chercher le lait à la ferme voisine, c’était souvent notre mère (1) qui était de corvée avant le dîner. Il faut dire qu’il s’agissait pour elle du seul moment de « repos » de la journée durant lequel elle pouvait un peu bavarder avec la laitière. De plus, sur le chemin non éclairé du retour (notre maison se situant à la périphérie du village), elle au moins n’avait pas peur des chouettes qui chuintaient dans les gros marronniers noirs entourant le château du comte de Brancion !
Et pendant ce temps, la cuisine se transformait rapidement en salle de jeux. Les chaises alignées les unes derrière les autres autour de la table simulaient un petit train, objet d’un spectacle animé mais non extraordinaire puisque la maison forestière dans laquelle nous vivions était une jolie petite gare désaffectée ! Le poste de chauffeur de la locomotive à vapeur était attribué, après concours, à celui d’entre nous qui faisait siffler le plus bruyamment sa machine. Les autres, munis de leurs bagages, se contentaient de monter dans les wagons en qualité de simples voyageurs.
Tandis que notre père, imperturbable, l’oreille collée au haut-parleur de son poste de radio à lampes, tentait – dans ce brouhaha – d'écouter les informations de 19 heures sur radio-Luxembourg... et que Tinou, le chat de la maison, douillettement enroulé dans un képi vert orné du logo de l’Administration des Eaux et Forêts, n’en finissait pas de ronronner ! En général, notre mère, « sentant de loin la fumée âcre de la locomotive », rentrait à la « gare » avec son pot de lait juste avant que le chauffeur, enivré par la vitesse, ne fasse dérailler son train en poussant rageusement sur la manette de la vapeur ! Ouf, sauvés encore une fois !
Manifestement, notre mère disposait de bien peu de temps pour se reposer et se déconnecter de ses travaux de couture et tâches ménagères. Pour accomplir la plupart de ces activités journalières, c’est justement dans la cuisine familiale qu'elle trouvait sa place.
Le dimanche par exemple – théoriquement, jour de repos hebdomadaire pour tous –, celle-ci se levait habituellement dès 5 heures afin de préparer le repas amélioré du midi où, suivant une tradition familiale ancestrale, le lapin figurait généralement au menu. Cela supposait bien sûr au préalable l’abattage, le dépeçage et la préparation de l’animal en question… autant de capacités d'actions témoignant d’une époque où il fallait être polyvalent et compétent pour gérer une famille nombreuse !
En outre, la bonté naturelle de notre mère la poussait souvent à partager – de bon cœur – son civet dominical avec un ou plusieurs de ses proches contemporains… ce qui n'était pas forcément du goût de ses enfants qui voyaient parfois en ces invités des écumeurs de table opportunistes !
Peu importe, notre cuisinière – qui assurait de plus le service à la table familiale – servait d'abord ces gentils convives de la journée, auxquels elle présentait le meilleur du lapin (râble et cuisses). Elle allait ensuite proposer son délicieux plat aux adultes de la famille, puis aux enfants et à la grand-mère. Cette dernière, selon son habitude, se réservait la tête (la moindre partie du lapin) qu’elle grignotait silencieusement ; elle en extrayait la cervelle (qu’elle donnait à l’un de ses petits-enfants) et se contentait finalement de la récolte infime de la viande des joues et de la langue ! Enfin, faisant preuve d'une grande abnégation, notre mère se servait en dernier… mais malheureusement pour elle, trop fréquemment, il ne restait plus dans le plat que quelques os à sucer ! C'était vraiment injuste !
Cela dit, durant les années 50, la frugalité des repas (entre autres) marquait la vie quotidienne au village. Cependant, mes frères et moi apprécions la cuisine traditionnelle familiale et avions suffisamment à manger… même si quelquefois nous restions sur l'impression que nous aurions pu avaler une deuxième portion de viande ! En fait, sans en être conscients, nous n’étions pas loin de l’un des préceptes du grand philosophe juif Maïmonide (1138-1204) qui recommandait de « manger et boire sans excès des mets digestes, de quitter la table en ayant encore un peu faim (2) » ! Ce qui est sûr, c’est que le problème du surpoids était quasiment absent chez les écoliers d'autrefois.
En résumé, dans notre maison forestière, la cuisine était une pièce polyvalente qui servait à la fois de hall d'entrée, de lieu de préparation et de cuisson des aliments, de salle à manger, de salle de jeux (surtout en hiver), d’atelier de couture, de salle d’études (durant l’année scolaire) et de séjour.
La maison forestière dans laquelle nous vivions était une jolie petite gare désaffectée parfaitement intégrée au cœur d'une parcelle de nature sauvage de 7810 mètres carrés – un véritable paradis dans les années 50 – offrant de multiples possibilités de jeux et d'escalade inégalées pour les « mômes de la gare » (Photo Michel Bouchot). Dans les années 50, en hiver, la neige recouvrait souvent le territoire de Royaumeix (Photo Jacques Poinçot). Les anciens se souviennent notamment de la vague de froid historique de février 1956, exceptionnelle tant par son intensité que par sa durée. En effet, du 1er au 27 février, les températures minimales sont restées inférieures à -15°C pendant 15 jours dans le Nord-Est, ce qui place février 1956 comme le plus froid depuis le début du XXe siècle en France (Source : METEO France)._______
1. « Une mère admirable, intelligente, une femme vertueuse, dévouée et estimée » selon Jean Manauthon, instituteur à Royaumeix de 1958 à 1964. Je suis heureux d'en témoigner ici huit ans après sa mort.
2. L’encyclopédie libre Wikipédia, Moïse Maïmonide [En ligne]. Site Wikipédia [consulté en août 2023]. Disponible sur internet : https://fr.wikipedia.org). © Claude Bouchot